Repas de famille

Genre : Famille/Tranche de vie/Secrets
Époque : 3012
Protagonistes : Seth, Osiris, Geb, Cora, Mina

– Seth ! Nous n'avons pas que ça à faire de t'attendre ! Dépêche-toi !

La voix de Geb résonna dans le long couloir, tirant aussitôt le jeune homme de ses rêveries.
Il pressa le pas et rejoignit tout le monde dans l'immense salle à manger.
« Tout le monde », pour aujourd'hui, se résumerait à Geb et la petite famille de son frère : sa femme et sa fille. C'était rare qu'il y ait aussi peu de monde ici, il le savait, même si lui ne voyait jamais beaucoup plus de personnes.

Seth n'était pas idiot, il se doutait que sa présence y était pour quelque chose. En dehors d'Osiris, plus personne ne voulait le voir dans la famille.

Il referma la porte, le dos appuyé contre le battant. Un bref instant, il observa d'un air insolent les quelques membres dans la pièce, goûtant à l'illusion qu'il les surplombait... qu'il les dominait. Dans ses rêves de gosse, il avait tant rêvé que c'était lui, le maître de la famille ! Que c'étaient ses règles à lui qui étaient appliquées. Dans ses rêves les plus fous, ses qualités étaient mises en valeurs, appréciées et reconnues.

– A quoi tu joues ? Assieds-toi Seth !

Sans baisser le menton, Seth détourna furtivement son regard vers le sol, passa sa langue dans sa bouche comme pour se donner une contenance et fini par décoller lentement son dos du mur avant de se diriger vers sa place d'un pas nonchalant. Il s'assit en prenant bien soin de garder un air fier et le plus insolent possible.

Seth était la seule personne à se tenir aussi droit et le menton aussi levé en présence de Geb. Même cette petite peste de Mina, aussi proche de son grand-père fut-elle, faisait preuve d'un semblant d'humilité devant lui.

– Toujours à te faire remarquer pour des imbécilités ! Tu as toujours été un véritable serpent, sournois et retors. Impossible de t'apprendre quoique ce soit d'utile. J'ai eu tort de croire en toi quand tu étais enfant.

Seth garda le silence devant les propos de son père. Pour toute réponse, ses lèvres s'étirèrent en un sourire provoquant.
Le reste de la tablée baissait la tête, attendant que l'orage passe. Seul Osiris semblait affecté par les paroles de leur père, mais Seth n'en avait cure. Il détestait son frère si parfait, si comme ce qu'il aurait dû être, à quoi il aurait dû ressembler !

Comme toujours, Geb fini par baisser les armes face à son cadet, préférant l'ignorer plutôt que de rentrer dans un jeu où il ne ferait que s'énerver et où Seth n'en sortirait que plus souriant et provoquant.

Le début du repas se déroula sans anicroche. Geb et Mina menaient la plupart des conversations, s'efforçant d'effacer encore plus la présence de Seth, qui de son côté ignorait royalement son frère – quand il ne se moquait pas de lui ouvertement –. Seule Cora, la femme d'Osiris, réussissait à entamer le dialogue avec lui. Elle était la seule avec qui il faisait preuve d'un tant soit peu de respect.

Cora lui rappelait un peu leur mère. Ils étaient encore jeunes lorsqu'elle était morte, et lui ne s'en était jamais remis. Parce que cela avait bouleversé toute son existence. Son enfance, déjà pénible, était devenue un enfer. Du jour au lendemain, il n'y avait plus eu personne pour croire en lui, pour l'aimer pour ce qu'il était, le consoler ou reconnaître sa valeur. Du jour au lendemain, il s'était retrouvé seul au monde. Avec toutes les conséquences qui en découlaient.

Cora possédait un peu de cette douceur qui lui manquait tant. Voilà pourquoi il se montrait plus ouvert avec elle.

Soudain, Geb dirigea son regard vers son cadet, une expression toujours aussi dure au visage.

– Dis moi, Seth... j'ai entendu dire que tu avais une fiancée ? Quand nous la présenteras tu ?

Un verre de vin aux lèvres, Seth manqua de s'étouffer et Cora lui tapota doucement le dos, plus pour l'encourager silencieusement que pour l'aider à respirer.

Seth lança un regard noir à son frère, qui baissa la tête. Évidemment, ça lui avait échappé ! Il en avait parlé à Cora et son crétin de frère avait été incapable de tenir sa langue ! Pourquoi était-il entouré d'imbéciles ? Sans son physique si ressemblant à celui de son père – au grand dam de ce dernier ! –, Seth aurait été persuadé avoir été adopté.
Il reprit rapidement une contenance, se redressa sur sa chaise et faisant mine de réfléchir, lança d'un air innocent :

– Eh bien, je pensais à... jamais ?

Pour sa plus grande satisfaction, il vit le chef de famille serrer les poings en tentant de garder son calme.

– Qu'y a-t-il ? gronda Geb, elle te fait donc honte pour ne pas mériter une place dans cette maison ?

– Non, c'est plutôt vous qui ne la méritez pas, lâcha-t-il, toujours aussi calmement.

C'était trop facile de le pousser à bout. Seth chassa mentalement le souvenir lointain dans lequel il dirigeait tous ses efforts à tenter d'obtenir son amour. L'amour d'un homme qu'il cherchait aujourd'hui à provoquer autant qu'il le pouvait. Briser son idéal familial si parfait, lui rendre la vie impossible... voilà ce qui le réjouissait en venant ici. C'était là l'unique plaisir pervers qu'il récoltait en revenant dans cette immense maison si froide.

Un bref instant, son sourire trembla, trahissant les véritables sentiments qu'il cachait. Amertume, souffrance et surtout une irrépressible envie de pleurer.
Seth s'humecta les lèvres, le temps de se redonner une contenance tout en ravalant les larmes qui ne devaient plus jamais couler en ces lieux.

– Elle ne nous mérite pas ? Eh bien ! Quelle incroyable personne as tu séduite ? Serait-ce une Combattante P ? J'ai peine à croire qu'une personne d'une réelle valeur soit tombée amoureuse de toi, alors je suis vraiment curieux !

Sa voix tremblait de rage, mais là dureté de ces mots n'atteignait même plus le jeune homme. Il avait l'habitude.
Il poussa un profond soupir en s'affaissant sur son siège, un air faussement ennuyé sur le visage.

– Ah... Je crains que vous ne deviez vivre avec cette déception, père...

Satisfait, il laissa ce dernier s'emporter, un sourire narquois au coin des lèvres.

Cora tenta de calmer son beau-père, mais ce fut la voix nasillarde de Mina qui s'éleva pour l'apaiser :

– De toute façon, je vais faire ma rentrée à la GEMAS bientôt ! Je verrai bien qui c'est !

Le sourire de Seth s'effaça et il jeta à sa nièce un regard froid.

L'adolescente détourna le regard. Agacé, craignant de ne plus réussir à garder son calme, il se leva et se dirigea sans un mot vers la sortie.

– Où vas-tu ? tonna Geb, nous n'avons pas terminé de manger !

Seth lui répondit sans se retourner, le plus naturellement du monde.

– Je sors. Je sature de votre présence.

Puis il claqua la porte.

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